Aujourd’hui je vais vous parler de mes tétés et sur mon acceptation jusqu’au bout des seins. Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours eu une relation relativement compliquée avec mes seins. J’ai le sentiment qu’à partir du moment où ils ont commencé à apparaître, ils ont cessé de m’appartenir, et mon corps aussi d’une certaine manière. Mes seins sont ainsi vite devenus le sujet de conversation prioritaire autour de moi : “Oh ça commence à bien pousser !”, “Ils ont bien grossi depuis la dernière fois”, “Hé dis donc, t’es une vraie femme maintenant”, “Tu vas enfin pouvoir t’acheter des soutien-gorges”.
Simone de Beauvoir décrit dans Le Deuxième Sexe, la manière dont les seins symbolisent parfaitement la dépossession des femmes, des filles de leur corps. À ce moment, le corps des jeunes filles est alors “saisi par autrui comme une chose”.
Très vite est arrivé le temps des premiers soutien-gorge, ceux qui ne servent à rien mais qu’on met pour faire comme les grandes, souvent rembourrés pour accentuer encore plus ces deux petites bosses. Mes seins ont rapidement généré de plus en plus d’attention. On me sexualisait davantage dans la rue, on me sifflait, et on les regardait avec insistance. Mais c’est dans mon collège que cette dépossession de mon corps m’a le plus marqué. Dans les rangs des salles de classe, de la cantine, dans les cours de sport ou même en pleine classe, on les touchait, on les attrapait, sans que cela n’étonne qui que ce soit. Mes seins ne m’appartenaient plus. Et petit à petit j’ai appris à les détester. Ils ne m’apportaient rien de bien après tout.
#NOBRA
À la sortie du lycée, après des années à les avoir constamment enfermés dans des soutien-gorges avec armatures, j’ai petit à petit commencé à privilégier le confort, en mettant des brassières, et puis enfin plus rien du tout. J’appréciais ce sentiment de liberté, de légèreté, malgré le poids de mes seins. J’aimais me sentir débarrassée de cette couche supplémentaire. Et j’avais l’impression de me détacher de ce symbole d’oppression qu’était pour moi le soutien-gorge. À ce moment-là, on parlait de plus en plus des inconvénients et des dangers qu’il pouvait engendrer. Alors qu’on m’avait appris toute ma vie que les soutien-gorges permettaient de remonter les seins, j’apprenais qu’ils avaient, en réalité, plutôt l’effet inverse.
“En libérant les seins des pressions et contentions qui accompagnent inévitablement leur enfermement, on rétablirait la circulation normale de la lymphe et du sang, on s‘éviterait toute une série de désagréments – inconfort, gêne respiratoire, douleurs musculaires et mammaires, et on préviendrait même quelques problèmes de santé (kystes, voire cancer du sein). Le second argument concerne la prétendue nécessité de soutenir les seins. Contrairement à un préjugé répandu, la chute des seins n’est pas enrayée par le port du soutien-gorge. Les ligaments de Cooper, qui sont les organes de suspension naturels de la poitrine, se relâcheraient tout au contraire à n’être pas mobilisés.”
Camille Froidevaux-Metterie, Seins, en quête d’une libération, éditions Points, 2020
Ne pas correspondre à la norme
J’ai pourtant vite été rattrapée par une révélation plus désagréable : mes seins tombaient bas…très bas. Et je n’ai alors cessé d’espérer que mes seins tiennent mieux, prennent moins de place, soient plus petits. Je me comparais aux autres, en me disant que les autres seins étaient plus beaux, plus fermes, plus ronds. Mes seins ne correspondaient pas suffisamment au modèle unique qu’on m’avait appris à aimer : le sein rond, pas trop gros, ni trop petit et qui tient bien tout seul. Il existe pourtant une infinie diversité de formes des seins. Et les seins sont aussi divers que changeants :
“Non seulement au cours de la vie, mais chaque mois et chaque jour même, ils se transforment. […] Ils varient d’abord quotidiennement, selon qu’ils sont touchés ou pas, qu’il fait chaud ou froid, selon qu’ils sont libres ou enserrés.”
Camille Froidevaux-Metterie, Seins, en quête d’une libération, éditions Points, 2020
Mais à mon plus grand regret, le no bra ce n’est pas pour moi. Ça m’arrive de le pratiquer de temps en temps, avec certains vêtements dans lesquels je me sens à l’aise et où la forme de mes seins ne me dérangent pas trop. Mais dans la vie de tous les jours, l’alternative qui me convient le mieux c’est de porter des brassières. C’est ce qu’il y a de plus confortable pour moi et c’est ainsi que je me sens le mieux. Bien que j’aimerais pouvoir ne rien porter, la sensation de mes seins qui reposent presque sur mon ventre quand je suis assise et la forme qu’ils ont dans mes vêtements me dérangent bien trop. J’ai longtemps eu le sentiment que mes seins prenaient trop de place sur mon corps et dans ma vie. Je me disais que la vie serait bien plus facile si j’en avais moins.
Se libérer d’un poids ?
Si aujourd’hui j’accepte plutôt bien mes seins, je reviens de très loin. J’étais même déterminée à en retirer une partie. J’avais passé des mois à me renseigner, à lire des témoignages et à regarder des photos avant-après. J’étais convaincue que je serai plus heureuse ainsi, que je pourrai enfin les trouver beaux, porter ce que je veux, avec ou sans brassières, pouvoir être plus à l’aise en faisant du sport et surtout enfin libéré de ces deux poids sur ma poitrine. Et peut-être que tout ça aurait été vrai. Mais j’étais plus certaine d’en ressentir vraiment le besoin.
J’avais pourtant eu plusieurs rendez-vous avec le chirurgien, qui m’avait gentiment annoncé que j’avais des seins tubéreux, les seins en forme de tubes, les seins qui tombent quoi. La date d’opération était fixée, tous les rendez-vous préalables étaient effectués, l’échographie mammaire. Tout était prêt, sauf moi visiblement. L’opération avait été repoussée une première fois à cause de la pandémie de covid. Et puis, lorsqu’on m’a téléphoné pour définir une nouvelle date, j’ai refusé.
Pour être très honnête, je ne pourrais pas dire aujourd’hui que je les trouve magnifiques. Il y a des jours où je me dis qu’ils sont beaux, d’autres où je ne préfère pas les regarder. Mais c’est pas grave, j’ai appris à vivre avec et à les accepter comme je peux.
Article rédigé par Élise
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