Le viol conjugal, parlons-en.

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(TW: Cet article parle de viol, d’agression sexuelle et utilise des récits pouvant heurter)

Le viol conjugal, qu’est-ce que c’est ?

Et d’abord, comment ça peut être du viol si ça se passe avec notre partenaire ?
Le viol, c’est seulement quand un inconnu ou une tierce personne qu’on connaît nous force, non ?
Si c’est notre petit·e copain·ine, concubin·e, mari·femme, ça ne peut pas être du viol, si ?
Ça ne s’appelle pas le « devoir conjugal » ?

Petit rappel du Code civil sur le devoir conjugal

En vertu de l’article 215 du Code civil, les époux s’obligent mutuellement à une communauté de vie. C’est cette communauté de vie qui implique le devoir conjugal.

Le divorce pour faute peut être demandé par un époux quand l’autre époux viole de manière grave ou renouvelée les devoirs et obligations du mariage (article 242 du Code civil). Il faut que cette violation rende intolérable le maintien de la vie commune.

Ce peut être le cas si le conjoint refuse les relations sexuelles.

Toutefois, ce refus peut avoir un motif légitime. Ce pourrait être le cas par exemple si la personne mariée ne veut pas se livrer à certaines pratiques sexuelles non conventionnelles.

Si l’absence de relations sexuelles entraîne une séparation des époux, cela pourrait autoriser aussi un divorce pour altération définitive du lien conjugal.

Ouf, le devoir conjugal n’implique quand même pas le viol :

Le viol sur le conjoint, ou sur le concubin, ou sur le partenaire pacsé, peut être puni de 20 ans de prison (article 222-24 du Code pénal).

Toute atteinte sexuelle commise sous la contrainte, est une agression sexuelle. La contrainte peut être physique mais aussi morale (article 222-22-1 du Code pénal). La contrainte morale peut résulter notamment de l’autorité que l’agresseur exerce, de fait ou de droit, sur l’agressé.

Tout d’abord, vous saviez que jusqu’à une loi de 2010, on demandait des preuves à l’époux·se qui indiquait avoir été victime d’un viol par son partenaire de vie, car on présumait qu’iel avait consenti aux relations sexuelles ?

Et après, on s’étonne que nombreux·ses sont celleux qui disent oui alors qu’iels pensent non. La pression de la société peut être brutale. La pression que l’on se met à soi-même aussi.

Quand parle-t-on de viol dans son couple ?

Un viol, c’est une agression, et quand on entend agression, on pense à des choses horribles.

Évidemment, si vous verbalisez votre « non » et que votre partenaire vous force quand même sans votre consentement, il y a viol, même si vous êtes en couple.

Alors que se passe-t-il quand vous dites « oui », mais que vous pensez « non » ? Après tout, vous avez dit « oui »… Mais faire l’amour alors qu’on n’en a pas envie, juste pour satisfaire l’autre, n’est-ce pas une forme de viol si le partenaire commence tout de même son affaire ? Pourtant, cela doit se voir que vous vous forcez, non ? En réalité, on peut simuler un temps, mais tout le temps, c’est trop d’effort pour l’esprit.

Peut-être, mais… « je l’aime, alors, je veux lui faire plaisir. »

Faire plaisir au détriment de son propre plaisir et de ses envies, ça vous mène à quoi ?

En réalité, ce n’est pas parce qu’on est en couple que faire l’amour est un devoir, qu’on doit le faire à une certaine fréquence. Nous n’avons pas tou·te·s les mêmes besoins, les mêmes envies au même moment. Il faut s’écouter et se respecter. Cela fait déjà une, deux, trois semaines, un mois que vous n’avez rien fait ? Mais cela ne vous manque pas pour l’instant ? Si vous ne voulez pas, mais que l’autre montre un désir ardent, il a toujours sa main droite ou gauche. Mais si possible, dans une autre pièce, faut pas déconner. Vous pouvez aussi juste avoir envie de lui faire plaisir sans pour autant qu’il y ait pénétration, mais là encore, il faut en avoir envie et ne pas se forcer, sinon, un jour, vous risquez d’être dégoûté·e.

Quand on se force à faire l’amour alors qu’on n’a pas envie

Que se passe-t-il quand on se force à faire l’amour ou à masturber l’autre alors qu’on n’en a pas envie ?

Et pourquoi on n’a pas envie, alors qu’on aime son partenaire ?

Une des réponses peut être celle-ci : nous portons souvent plusieurs costumes dans une journée.

Ici, je vais m’intéresser à ceux des femmes salariées en couple avec enfant(s), en voici les différentes couches :

  • au lever, le costume de maman ;
  • une fois l’enfant à l’école, le costume professionnel ;
  • une fois rentrée à la maison, le costume de maman et de maîtresse de maison, de conjointe aussi, de femme qui doit parfois penser à tout ;
  • une fois l’enfant couché, le costume de la conjointe, parfois notre propre peau quand on se prend un moment à nous ;
  • et au coucher, alors qu’on veut juste s’endormir après une journée harassante à sans cesse changer de tenue, il faut parfois renfiler celui de la conjointe, même si on n’en a pas envie.

Qu’entends-je ? Vous scandez au modèle du patriarcat ? Eh bien oui, en 2023, il est encore bien là pour certaines générations.

TW : Récit de viol conjugal pouvant heurter !

Mettons-nous dans le contexte par une petite histoire.

Il était une fois, un gentil petit couple

Vingt-trois heures, j’annonce que je vais me coucher, je n’en peux plus. On éteint la télévision, les lumières, et nous nous rendons dans la salle de bains pour nous laver les dents. Il est plus rapide que moi, il monte, et moi, je suis encore en train de me préparer. Après quelques minutes, me voilà prête à aller au lit. J’entre dans la chambre. L’homme est déjà installé et bouquine. J’enfile mon pyjama et j’essuie une petite réflexion lubrique sur mes fesses et seins nus l’espace de quelques secondes. Il a beau être mon conjoint depuis plusieurs années, ce soir, je n’aime pas ça. Il ne peut pas s’en empêcher. J’ai l’impression d’être un morceau de barbaque face à un carnivore. « Miam la bonne ianiande. On en boufferait. » Ben ce soir, j’ai pas envie que tu me bouffes.

Je me glisse sous la couette. Je suis tellement fatiguée par cette journée. Mes enfants ont terminé de vider mon énergie, après que mon travail l’a bien pompée. Je n’ai pas la force de prendre mon livre, délaissé depuis plusieurs jours. Pourtant, je veux connaître la suite. Mais je n’ai pas la force. J’ai aussi trop de choses en tête qui me fatiguent.

« Si tu veux regarder, j’ai tondu. »

J’en suis ravie. Moi aussi, je me suis rasé le minou. Parce que je sais que t’aimes ça. Mais je te le dis pas à chaque fois. Même si je sais que ça te ferait bander.

Je lève les yeux au ciel et lui fais un chaste bisou sur la bouche.

« Bonne nuit, mon cœur. »

Il a l’air déçu.

Tant pis. Je m’allonge confortablement et lui tourne le dos. Immédiatement, je sens sa main me caresser les fesses et se glisser entre mes jambes. Je gesticule en grognant. Je n’ai pas envie. Et je suis épuisée.

« Tu fais exprès aussi de me montrer tes fesses… »

Non. Pas du tout. Je me tourne parce que j’ai envie et que je suis bien sur le côté. Et de l’autre côté, il y a ta lumière. Je sais que tu me taquines. Mais ce soir, je ne suis pas d’humeur pour ton humour.

« Ça fait longtemps qu’on n’a rien fait… »

Allez, bim, prends-toi ça. C’est possible. Longtemps… tout est relatif. C’est pas comme si ça faisait un mois qu’on n’a pas baisé. Ça fait genre… quelques jours. Une semaine, peut-être. Je ne sais pas, je ne compte pas.

Je l’entends poser son livre et se glisser contre moi. Puis,sa main trouve mes seins et les malaxe. Moi, je grimace sans qu’il me voie. Il cale son érection entre mes fesses et remue un peu, tout en m’embrassant dans le cou.

« J’ai envie de toi. »

Je sais. Ça me fait plaisir que tu aies envie de moi tous les soirs. Moi ? J’ai envie de dormir.

Ses doigts glissent finalement sur mon sexe. J’ai dit non hier. Et j’ai dit non avant-hier. J’ai dit non…

J’ai trop dit non.

Bon, allez, quand faut y aller…

Dans un pseudo-consentement muet, je passe la main derrière moi et trouve son caleçon. Je lui fais comprendre de l’enlever et il ne se le fait pas dire deux fois. J’ôte aussi mon short et écarte un peu les jambes. Il glisse sa trique contre mon intimité et gémit en faisant des va-et-vient. Je n’ai pas envie. Je n’ai pas envie d’avoir envie. Tant pis, ce sera un peu sec, mais j’attrape son sexe pour le placer devant l’entrée de mon vagin, je n’ai pas envie que ça dure. D’un mouvement, je l’insère en moi, doucement.

Je ferme les yeux très fort et pince les lèvres.

Voilà un nouveau gémissement de plaisir de sa part. Ça me fait un peu mal, mais ça va s’humidifier au fur et à mesure. Le corps est bien fait. Je remue d’avant en arrière et l’entends continuer de gémir dans mon oreille. De mon côté, aucun son ne sort de ma bouche. J’espère qu’il va vite jouir. J’accélère la cadence et il y met du sien, allant de plus en plus vite, de plus en plus fort.

J’accroche mon oreiller et cesse presque de respirer, une boule obstruant ma gorge. Je ne touche même pas l’homme qui s’affaire derrière moi, pris dans son propre plaisir, occultant le fait que je joue à la poupée gonflable. Pendant qu’il me martèle, je me souviens que je n’ai pas signé le papier de je ne sais plus quoi à rendre à la maîtresse demain. J’ai encore oublié de regarder le site pour prendre rendez-vous en ligne chez l’ophtalmologiste pour la petite. Et ce client que je n’ai pas rappelé… J’espère qu’il ne va pas râler. Qu’est-ce que je pourrais bien faire à manger demain soir pour changer ?

Enfin, il pousse un râle contre ma nuque, il a fini.

Je n’ai pas joui. J’ai plus subi qu’autre chose.

Mais, après tout, nous sommes en couple depuis si longtemps. Je peux bien faire des efforts pour lui faire plaisir, non ? Mais… est-ce qu’il s’occupe de mon plaisir ? Ah ba non, quand il a fini, il a fini. C’est vrai que c’est long à faire jouir, une femme. Ça demande de la pratique, de la dextérité… Ahem.

Parfois, je me masturbe aux toilettes après l’acte pour finir ce qu’il a commencé, car je ne jouis pas systématiquement. Une minute suffit parfois – des fois moins que ça, même – pour que les picotements dans mon corps et les décharges dans mon cerveau se fassent ressentir. C’est vrai que c’est long à faire jouir, une femme… Mais ça, c’est quand j’ai envie de faire l’amour et qu’il a laissé mon plaisir sur le carreau, se concentrant sur le sien. « Tu comprends, c’est tellement intense, j’arrive pu à faire autre chose. » Ouais, j’ai vu. Là, je vais juste faire pipi et essuyer le sperme qui dégouline.

Je ne me sens pas très bien.

De retour dans le lit, il me demande si c’était bien. Heu… Je lui mens ou bien ? À ton avis ? Tu m’as entendue gémir ? Parce que non, je ne simule pas. Je ne simule plus. Néanmoins, ça n’a pas l’air de le traumatiser ni de lui faire se poser des questions. Je hoche la tête en faisant des hum hum. Je ne voudrais pas qu’il se sente nul. Au moins, c’était rapide. Maintenant, je peux dormir.

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Vous vous reconnaissez ? Eh bien… cette situation s’apparente bien à un viol conjugal. Vous vous êtes forcée, parce qu’il avait envie et que ses paroles étaient culpabilisantes.

Si tu n’en as pas envie, ne te force pas.

Une petite phrase anodine. Pourtant, elle fait sens, même en étant en couple. Si on se force, on finit par ne plus être en accord avec soi, et quand on n’est plus en accord avec soi, on s’enfonce dans le mal.

Chaque matin, se lever pour aller travailler. Courir un peu pour ne pas être en retard, parce qu’il faut déposer les enfants à l’école d’abord. Travailler sept, huit, voire douze heures par jour. À peine prendre le temps de déjeuner. Terminer le travail et filer chercher ses enfants. S’occuper de ses enfants – devoirs, douche, jeux. Faire à manger. Les couchers. Et ensuite, quoi ? Se coucher parce qu’on est trop crevé. Se poser dans le canapé et regarder la télé. Faire un jeu. Lire un livre. Dormir. Au choix selon l’état. Puis, recommencer. Jusqu’à atteindre le week-end, pour ceux qui ont deux jours de repos. Attendre impatiemment les vacances – cinq semaines à répartir sur l’année pour un grand nombre.

Rien d’étonnant à ce qu’on soit à bout de souffle dans cette vie qu’on mène.

Et rien d’étonnant à ce que le désir d’une partie de jambes en l’air s’éloigne. Alors, quand vous n’avez pas envie, dites « non ». Normalement, on ne devrait pas avoir besoin de se justifier. Non, c’est non. Mais votre conjoint·e peut avoir, la première fois que vous le dites (non), besoin d’être rassuré·e. Iel peut vite s’imaginer que si vous n’avez plus envie de faire l’amour, c’est que vous n’avez plus envie de ellui, et que vous pensez à lea quitter. Iel prend un coup dans son ego. Alors bon, si votre « non » est nouveau, et parce que la communication est le ciment du couple (non, ce n’est pas le sexe), c’est bien d’en parler.

Les nouvelles générations tendent à passer outre, mais le patriarcat est encore bien ancré dans certaines, notamment pour ceux qui ont plus de trente ans aujourd’hui. Dans un couple, on a cette espèce de pression du « devoir conjugal » de la femme envers l’homme qui a souvent envie (encore plus quand les rapports sont espacés), de vouloir faire plaisir à l’autre, même si on ne veut pas. Finalement, le consentement donné à cause de la pression que l’autre nous met parce qu’iel a envie est un « non » silencieux.

Alors oui, ça s’appelle un viol.

En effet, on peut ne pas aimer ce mot dans cette situation, pourtant, c’est bien le cas. N’attendez pas pour en parler à cellui qui partage votre vie, parce que si vous lui dites que vous vous forcez régulièrement et que maintenant, vous ne voulez plus le faire tant que vous n’avez pas envie, l’autre prend conscience qu’iel est un violeur et chez certain·e·s, c’est la déferlante du remords, car iel ne pensait pas à mal.

La clé ? Communiquer. Je le redis. Partager ses ressentis. Ne pas avoir peur de dire « non », ce n’est pas pour ça que vous n’aurez pas envie une autre fois. Ne pas avoir peur de dire ce que vous pensez, car dans un couple, si on ne se parle pas et qu’on subit, où est l’amour ?

Article rédigé par Cara.

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