Alsacienne, trentenaire et Travailleuse du sexe

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Qui sont ces gens dont on ne parle pas ?

Ou dont on parle sans les connaître ? Il est admis dans une conversation mondaine d’avoir des a priori sur tout un chacun, et parfois valorisé de s’en gargariser. Celles et ceux qui s’adonnent à la prostitution connaissent bien ce phénomène : on parle d’eux, partout et tout le temps, sans même s’en apercevoir, mais on entreprend rarement de leur donner la parole. Alors plutôt que de parler d’elle à la troisième personne, j’ai été à la rencontre d’Afeni, jeune femme alsacienne, trentenaire et travailleuse du sexe, qui nous livre son parcours, ses déboires et la stigmatisation dont elle est victime.

Quand tout a commencé

Afeni Shakur. C’était le nom que portait la mère de Tupac. Activiste afro‑américaine et membre du parti des Black Panthers, nous apprend cette femme à la chevelure flamboyante et au regard d’un bleu azur pénétrant. C’est aussi sous ce nom qu’elle se présente à ses clients, depuis un peu plus de trois ans maintenant. Car non, elle n’a pas toujours été Afeni. Il s’agit d’un personnage créé de toutes pièces, pour répondre à un besoin pressant… l’argent. Elle a pris cette décision seule, en s’inspirant d’une amie travailleuse du sexe ; elle n’a fait l’objet d’aucune pression extérieure, ne regrette pas ce choix et ne souhaite pas arrêter. Enfin, du moins, pas pour l’instant.

Après neuf ans de bons et loyaux services dans la fonction publique en tant qu’aide‑soignante, elle était à bout. Des années qu’elle cumulait plusieurs emplois, que les conditions d’exercice se dégradaient sans cesse : coupes budgétaires, sous‑effectif, harcèlement, maltraitance… Au printemps 2020, la pandémie assène le coup de grâce. Les nouveaux protocoles sanitaires s’ajoutent à l’enfer du quotidien. « Le travail avait changé, ce n’était plus ce qu’on nous avait appris… C’était la guerre, vraiment » déclare‑t‑elle en revenant sur ce souvenir douloureux.

À l’aube de ses 30 ans, elle décide de quitter le médico‑social pour exercer son activité de TDS. Et accomplir son rêve de petite fille en intégrant une formation de maquillage sur Strasbourg : « J’ai toujours voulu être maquilleuse, seulement au lycée personne ne m’avait jamais dit que c’est un métier que je pouvais envisager ». Aujourd’hui, Afeni ne regrette pas ce choix et n’échangerait pour rien au monde sa nouvelle vie contre l’ancienne.

« Je me sens tellement plus épanouie. Avant, j’allais travailler avec la boule au ventre,
aigrie par mon travail. Tu ne peux pas être aigrie quand tu es aide‑soignante…
c’est des personnes dont on s’occupe. »

Évoluer entre deux mondes

Ses premiers clients, Afeni s’en souvient bien. L’un d’eux appartenait à la catégorie de ce que l’on nomme les « fantasmeurs ». Ces hommes qui font miroiter monts et merveilles et s’inventent un alter ego riche et puissant, rêvant d’entretenir une prostituée, à la Pretty Woman. Mais trop souvent, ces façades en trompe‑l’œil dissimulent un décor bien moins reluisant… C’est ce que découvre la jeune femme lorsqu’elle accepte de grimper à bord d’une voiture contre la promesse d’une importante somme d’argent pour le week‑end. La suite ressemble davantage à un enlèvement qu’à une escapade. Après avoir subi un certain nombre d’actes sexuels non consentis, Afeni s’est retrouvée seule, à une heure de route de son domicile et sans solution de retour. Bien sûr, le week-end et la somme d’argent n’ont jamais existé.

Depuis, Afeni a gagné en expérience.

Elle se protège autant que possible des fantasmeurs. C’est-à-dire, en exigeant systématiquement ses paiements à l’avance et grâce à un système d’acompte sur PayPal. Une personne de confiance est toujours avertie de ses déplacements. Malgré tout, les risques sont nombreux et l’insécurité trop fréquente. C’est pourquoi elle appréhende toujours de rencontrer de nouveaux clients, bien consciente qu’elle serait démunie face des hommes mal intentionnés.

Lorsqu’on lui demande si elle a déjà envisagé de porter plainte pour des violences subies dans le cadre de ses activités, sa réponse est sans appel :

« Je n’irai jamais voir la police. Je ne me sentirais pas assez en confiance pour ça ».

À l’instar d’un grand nombre de TDS. Elle craindrait d’être désignée comme responsable et non comme la victime qu’elle est aux yeux de la loi ce qui, pour elle, constituerait un véritable traumatisme.

Heureusement, Afeni est entourée de personnes de confiance et amis de longue date. Donc, des personnes sur qui elle peut compter en cas de besoin, affirme‑t‑elle. En parler à sa famille reste cependant impensable. Et les remarques acerbes qu’elle essuie en société sont d’une fréquence peu anodine. Comme ce fameux soir, par exemple, où ils jouaient tous ensemble à une sorte de Time’s Up ou Limite Limite, dans lequel la question : « Quel serait le pire métier que ta fille pourrait exercer ? » a bien sûr suscité une réponse à l’unanimité :

« Pute »

***

Si vous avez été victime de violences, que vous soyez TDS ou non. Sachez qu’il existe des associations assurant une mission d’écoute, d’orientation et d’information. Vous pouvez par exemple contacter le « 3919 ‑ Violences faites aux femmes » qui, contrairement ce que son nom laisse entendre, n’est pas réservé qu’aux femmes. Toute personne est la bienvenue, et pour tout type de violence, m’assure‑t‑on au bout du fil.

Article rédigé par Paciane ROUCHON

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