Le sang des règles dans l’art !

Le sang menstruel dans l’art : créer en dehors des règles

Bien que les règles n’aient pas toujours été le sujet d’un immense tabou selon les époques et les cultures, on peut dire que depuis plusieurs siècles, les menstruations sont globalement vues d’un très mauvais œil. Les règles sont d’ailleurs un bon indicateur de la place des femmes et de leurs droits dans une culture donnée. Dans les sociétés qui tendent vers une égalité des sexes, les menstruations sont mieux acceptées, comprises et sont même valorisées dans certaines sociétés matriarcales. Plus qu’une question d’époque, il s’agit surtout d’une question de société comme le témoignent encore aujourd’hui les fortes différences de perception des règles à travers le monde.

Entre rejet et tabou, il n’est pas rare que les personnes dotées d’un utérus vivent cette période de leur cycle dans la honte.

Cela tend à changer depuis le siècle dernier, tout particulièrement depuis les mouvements féministes des années 1970, mais pourtant, les superstitions et les stéréotypes à ce sujet sont encore bien ancrés. 

Les réseaux sociaux, les publicités et plus généralement la culture populaire participent largement à alimenter ce tabou. Ce n’est d’ailleurs que très récemment que les publicités de protections périodiques ont cessé de représenter métaphoriquement le sang menstruel par le fameux liquide bleu. L’image du sang menstruel apparaît encore bien souvent comme un outrage dégoûtant.

Comment et pourquoi montrer ce sang habituellement dissimulé ? À travers l’art et la culture populaire, comment dénoncer ce tabou des règles ?

© Rupi Kaur

Dans son livre Le corps des femmes, la bataille de l’intime, Camille Froidevaux-Metterie dédie tout un chapitre à ce moment très particulier du cycle et comment il est considéré.

“Socialement, et de façon séculaire, les règles sont placées sous le signe de la honte”

Et les mouvements d’émancipation féministes n’y ont, selon elle, pas changé grand chose.

“Pas plus d’éducation à la sexualité dans les collèges et les lycées que l’évolution des normes éducatives dans les familles n’ont modifié la nature de l’expérience vécue des menstruations.”

Elle souligne également que bien que les règles semblent être plus acceptées dans notre société, il faut pour cela qu’elles restent indétectables et on doit en parler le moins possible. En témoigne la peur que nous connaissons tou.te.s de laisser percevoir une tâche sur un pantalon ou sur une chaise, la grande discrétion des échanges de protections périodiques, l’embarrassement ressenti parfois lorsque l’on doit avouer qu’on a nos règles, et j’en passe.  

Il semblerait cependant que le temps de la dissimulation et de la honte arrive, doucement mais sûrement à son terme.

De plus en plus de femmes décident de s’approprier le contrôle de leurs règles et tentent d’améliorer l’image qui en est renvoyée dans la société. Je pense qu’on peut désormais en parler plus ouvertement dans beaucoup de cas, bien qu’il y ait encore de nombreux progrès à faire. 

La place grandissante que le sang menstruel a pris dans les débats se retrouve également dans les arts.

Depuis les années 1970, bon nombre d’artistes s’emparent de leur fluide dans le but de dénoncer le tabou autour des règles, de s’affranchir de la norme pour réintégrer les menstruations sans honte dans la société. L’une des premières artistes à exploiter le sang menstruel dans ses œuvres a été Judy Chicago. En 1972, avec Menstruation bathroom, elle expose de façon claire et visible des tampons ensanglantés dans une installation de la Womanhouse (une maison accueillant les installations et performances de plusieurs artistes).

© Judy Chicago

Avec sa série Isilumo Siyalama -expression zouloue signifiant douleurs menstruelles- initiée en 2006, l’artiste sud africaine Zanele Muholi crée des mandalas abstraits avec du sang menstruel. Elle critique avec ce projet la manière de considérer cette période de mois et le sentiment de dégoût qui l’accompagne généralement dans les sociétés patriarcales.

5 projets d'art menstruel qui combattent le tabou des règles

© Zanele Muholi

Lors de sa performance de 2013 Casting Off My Womb, l’artiste Casey Jenkins passa 28 jours, soit la durée moyenne d’un cycle menstruel, à tricoter une écharpe, en utilisant de la laine préalablement insérée dans son vagin. La laine initialement blanche, se teintait alors de rouge les jours où l’artiste avait ses règles, permettant ainsi de voir les variations de son flux à travers cette écharpe.

casting off my womb | Craftasaurus Rex

© Casey Jenkins

Avec sa série The Curse : La Malédiction, présentée à Paris en 2014, la photographe française Marianne Rosenthiel, présente une vision contemporaine et positive des menstruations. Cette série part d’une interrogation qu’elle avait depuis son adolescence à propos de l’invisibilité du sang menstruel. S’inspirant de jeux de mots, d’expressions et de croyances sur les règles, elle crée des images poétiques et puissantes.

© Marianne Rosenthiel

Rupi Kaur, principalement poète et illustratrice, publie en 2015 une photo sur son compte Instagram sur laquelle on peut voir une femme de dos, allongée dans son lit, complètement habillée, mais cette photo fut immédiatement supprimée par la plateforme. Alors que la photo respectait les règles du site, pourquoi a-t-elle été retirée ? Simplement parce que le drap et le pantalon de la jeune femme se trouvaient tâchés de sang. La réaction d’Instagram face à cette photo vient confirmer ce que l’artiste souhaitait critiquer avec la série dont fait partie cette photo :

Nos sociétés sont bien souvent plus à l’aise avec l’hypersexualisation des corps féminins qu’avec les règles.

© Rupi Kaur

“Je saigne chaque mois afin de faire de l’humanité une possibilité. Mon utérus est la maison du divin. Une source de vie pour notre espèce. Que je choisisse de créer ou non. Mais il est très rarement vu de cette manière. Dans d’anciennes civilisations, ce sang était considéré comme sacré. Dans certaines sociétés c’est toujours le cas. Mais une majorité des personnes et communautés réduisent au silence ce processus naturel. Certains sont plus à l’aise avec la pornification des femmes. La sexualisation des femmes. La violence et la dégradation des femmes qu’avec cela. Ils ne se soucient pas d’exprimer leur dégoût envers tout ça. mais sont irrités et dérangés par cela. Nous avons nos règles et ils voient cela comme sale. Demande d’attention. Maladie. Un fardeau. Comme si ce processus était moins naturel que respirer. Comme si ce n’était pas un pont entre cet univers et le précédent. Comme si ce processus n’était pas de l’amour. Du travail. De la vie. Désintéressé et remarquablement beau.”

Rupi Kaur (traduit de l’anglais)

En 2016, l’artiste britannique Amanda Atkinson présente l’œuvre £306, composée d’un tas de pièces de monnaie posé par terre. La somme totale de ces petites pièces est d’exactement £306, autrement dit, la somme moyenne dépensée chaque année par les femmes pour des articles liés aux règles (protections périodiques mais aussi médicaments ou autres pour soulager la douleur). Dans cette œuvre, l’artiste dénonce la taxe du gouvernement anglais qui classe les protections périodiques comme des produits ‘non-essentiels” – à noter qu’en France, ce n’est qu’en 2015 que les taxes sur les protections menstruelles sont passées de 20% à 5,5% –. 

£306 (2016)
The piece presents 306 pounds in silver and copper coins, the average amount spent annually by women on sanitary items (including underwear due to spillages) and pain relief for periods. Sanitary items are currently regarded as ‘luxury’...

£306 © Amanda Atkinson

Les menstruations constituent le quotidien d’une grande partie de la population, et même si elles restent encore bien trop souvent associées à des notions de saleté et de dégoût, le sujet est de moins en moins sensible et tabou. La perception des règles peut être le témoin de la position de la femme dans la société et on peut dire qu’on a encore du chemin à parcourir. Cependant, les représentations de plus en plus nombreuses dans l’art ou ailleurs semblent montrer qu’un changement est en train de se produire dans les consciences, comme le disait Camille Froidevaux-Metterie.

Elise Kobler

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