Il y a quelques semaines, je me suis rendu·e au squat anarcha-féministe transpédégouine « La Baudrière » pour la projection en avant-première du film documentaire « Icy Beverly Ruby Diamond » (2022) de Thomas Roget, qui glorifie avec audace et authenticité Icy Diamond. Aujourd’hui, je vous écris pour vous raconter – distant·e des récits sensationnalistes – les combats d’une militante acharnée, mais aussi pour vous narguer d’avoir manqué un tel événement.
Une reconnaissance intra-communautaire.
J’entre dans une salle remplie d’adelphes Queer : des énergumènes aux maquillages forcés et manucures disproportionnées, des visages et des formes atypiques, des manières élégantes, quelques illuminé·e·s qui parlent relativement fort, dans une ambiance quasi-glauque… Une joyeuse bande de salopes qui s’impatiente. L’hôtesse et son réalisateur nous font patienter puisque c’est de tradition et mes proches s’en plaignent : toustes les déviant·e·s de cette société sont en retard et on s’y accommode. Cependant, il convient de respecter l’hôtesse, car elle transcende la représentativité des femmes transgenres, travailleuses du sexe. Icy Diamond, féministe d’un mouvement qui accueille celleux qui chient des arc-en-ciel, patriote d’une France dans laquelle les créatures qui survivent dans les ténèbres lubriques des caves pourraient vivre en surface, Marianne d’une révolution pour une France sans transmisogynie, la Liberté guidant le peuple qui consomme leurs pornos gratuitement vers l’achat des services sexuels… Icy Diamond dans toute sa splendeur. Icy Diamond : icône.
Enfin, elle arrive suivie de son acolyte Thomas Roget, qui n’est nul autre que le réalisateur du film-documentaire. On observe la protagoniste sous tous les angles visibles dans la pénombre, impatient·e de découvrir une autre facette de cette personne complexe. On la voit fière de son travail dans sa présentation (quoiqu’un peu gênée) parce qu’après tout, elle est douée. Et chacune des personnes présentes lors de cette soirée savaient l’étendue de son talent. Elle fait claquer ses ongles immenses, se pavane dans sa belle robe de princesse, papillonne ses faux cils exubérants, nous remercie et s’installe.
S’en suit alors 65 minutes d’Icy Diamond.
Pourquoi Icy Diamond nous est-elle irremplaçable ?
Durant la projection, j’oscillais entre plusieurs émotions qu’elle transmettait par sa simple présence sur écran. Elle rit, nous rions. Elle se maquille, s’habille, boit, marche dans la rue… Et nous l’admirons encore plus parce qu’elle porte une part de nous. Nous toustes les travelos, les « transsexuel·le·s », les garçons manqués, les « Monsieur-Madame », les gouines, les pédés, les kinky, les folx… Elle nous touche dans nos identités parce qu’elle nous montre qu’on peut avoir de l’importance, avec nos déviances.
Ce film-documentaire, il pullule d’affection. Celle qu’on est obligé·e de ressentir pour Icy Diamond, et pour nous-même. Alors on l’admire parce qu’elle existe. Et l’on est surpris·e aussi (sans vraiment l’être) par cette femme d’une tendresse que personne n’aurait soupçonné au travers de ses apparitions médiatiques… Est-ce surprenant ? Je ne le pense pas.
Icy Diamond dérange l’ordre social parce que sa vie compte.
Icy Diamond est une militante féministe qui lutte sans relâche pour la décriminalisation du travail sexuel et contre toute forme de discrimination (e.g. putophobie, transphobie, follophobie, homophobie…). Certain·e·s adeptes du classisme, attaché·e·s à leurs discours élitistes bourgeois diront/ disent qu’elle « dessert la cause féministe » par ses prises de parole, son apparence, son caractère…
Autant se montrer honnête : elle dérange.
Puisque, comme le dit Thierry Schaffauser dans son livre « Les luttes des putes » (2014) : « Nous [les travailleur·euse·s du sexe] avons le droit d’exister, mais seulement si nous restons cachés ». L’existence seule d’Icy Diamond, sans fioritures est une révolution féministe. Mais elle ne s’y arrête pas, elle rajoute des parures de toute sorte, ornements tape-à-l’œil et s’exprime haut et fort. Elle bouleverse l’ordre social, et sa présence médiatique permet de changer le statu quo.
Les médias mainstream ne la voient que comme un phénomène…
J’ai encore en tête les titres sensationnalistes des journaux dernièrement, ci-joint une liste non-exhaustive : Le Figaro « Une prostituée trans s’affiche dans des poses obscènes (…) » ; Valeurs Actuelles « Une prostituée transsexuelle assure avoir tourné une vidéo porno (…) » ; Journal des Femmes « Une escort fait ses petites affaires aux WC (…) » ; Public « Une jeune femme trans dérape (…) » ; L’Info au Quotidien « Prostitution d’une transsexuelle à la Mairie de Paris (…) » ; StarMag « Une invitée montre ses seins (…) » etc.
Mais parle-t-on des raisons de sa présence en manifestation contre la réforme des retraites ? L’écoute-t-on vraiment lorsqu’elle se défend sur le plateau de TPMP (Touche Pas À Mon Poste, 14 février 2023) ? Explique-t-on les raisons de sa mise en scène à l’Hôtel de Ville de Paris (La Nuit des Fiertés, 11 mars 2023) ? Se donne-t-on la peine de comprendre pourquoi elle se nomme « La Nouvelle Marianne » ou encore « La Liberté Guidant le Peuple » ? Suit-on son compte Instagram (@icy_diamondxx) afin de s’éduquer, de saisir l’ampleur de la prévention en santé sexuelle qu’elle fournit ou pour se rincer l’œil sans daigner débourser quelques euros ?
Icy Diamond est le cauchemar des conservateur·ices anti-wokes, réactionnaires privilégié·e·s, catholiques coincé·e·s, abolitionnistes aux orgueils disproportionné·e·s persuadé·e·s que toustes les travailleur·euse·s du sexe sont des Marie-Madelaine tandis qu’elleux Jésus Christ personnifié·e, transphobes se masturbant sur leur fameuse « théorie du genre », féministes universalistes dont le seul discours se résume ainsi : « On veut l’égalité entre les ‘zhommes’ et les ‘fammes’ ».
Vous l’aurez compris, Icy Diamond est une militante féministe pro-convergence des luttes, qui par toutes ses apparitions médiatiques (e.g. manifestations, plateaux télévisés, réseaux sociaux…) se donne pour missions d’éduquer aux conditions d’exercice du travail sexuel, aux vécus des personnes transgenres et prend position contre toutes les formes d’injustices.
Icy Diamond n’est pas qu’une « pute transsexuelle » : c’est une militante !
Quelles sont ses revendications ?
La militante exige notamment la décriminalisation du travail sexuel (comme en Belgique ou Nouvelle-Zélande), dénonce la Loi du 13 Avril 2016 pénalisant les client·e·s des travailleur·euse·s du sexe (https://strass-syndicat.org/decriminalisation-du-travail-sexuel/), dénonce les interdictions par la mairie de Paris de la circulation, l’arrêt et le stationnement des véhicules hébergeant les travailleur·euse·s du sexe de rue particulièrement vulnérables face aux violences (https://www.instagram.com/p/CmQ_jN0rXvo/), met en lumière l’exploitation des travailleur·euse·s du sexe par l’État Français (e.g. iels doivent être déclaré·e·s auprès de l’URSSAF et payer des impôts, ce qui signifie que selon la loi le gouvernement est lui-même proxénète : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006417853), manifeste contre la réforme des retraites qui impactera négativement les travailleur·euse·s du sexe qui sont aussi des ouvrièr·e·s, s’oppose au stéréotype négatif sur les travailleur·euse·s du sexe qui voudrait qu’iels soient des « nids aux Infections Sexuellement Transmissibles » car elle fait régulièrement de la promotion en santé sexuelle sur son compte Instagram… Et j’en passe !
Icy Diamond n’est certainement pas une « pute transsexuelle » incapable du moindre raisonnement logique ni « la déchéance de la société ». Les croyances néo-abolitionnistes selon lesquelles les travailleur·euse·s du sexe n’ont pas la capacité de s’exprimer, sont des « pauvres filles faibles d’esprit, traumatisées et abîmées », des aliéné·e·s et des victimes (Schauffauser, 2014) ne subsistent pas en sa présence. Elle est bien plus vive d’esprit que la plupart des ahuri·e·s cité·e·s plus haut, il suffit de l’écouter plutôt que la catégoriser comme personne indéniablement dépendante des stigmates qu’elle porte. Stigmates qui par ailleurs, lui permettent d’avoir une ouverture d’esprit et un discernement, que peu de privilégié·e·s auront un jour.
Une œuvre d’art engagée ?
Ce film-documentaire, a donc aussi pour vocation de nous responsabiliser et nous permettre la remise en question, la déconstruction de notre adhésion parfois inconsciente aux stéréotypes sur les personnes transgenres et/ou travailleur·euse·s du sexe.
Afin que l’on soit capable (Dieu·e garde celleux qui en sont incapables) de saisir les enjeux qui entourent l’existence d’Icy Diamond. Pour le commun des mortel·le·s encore aujourd’hui, elle est le stéréotype graveleux de la « pute transsexuelle » avec notre lot de préjugés contre sa personne, mais pour nous autres et indépendamment de la volonté de ces « mortel·le·s » elle est la voix des énergumènes que j’ai décrits plus haut.
Tout en demeurant – n’en déplaisent encore aux personnes de mauvaise foi – une être humaine qu’on ne peut s’empêcher d’aimer inconditionnellement.
Que se passe-t-il concrètement dans ce film-documentaire ?
Ce film-documentaire, nous invite à s’émerveiller d’Icy Diamond. Bien que nous soyons voyeuristes d’une bribe de son quotidien, ce n’est pas déplacé (elle seule pourrait nous le dire.). C’est une adoration pour ce qu’elle incarne, et le bien qu’elle nous fait. Nous ne sommes pas des fétichistes de « transsexuel·le·s » ni des fantasmeur·e·s de « prostituées » encore moins curieuxses des entrejambes… Nous sommes dans une posture spectatrice qui ne laisse pas de choix : la respecter, point.
Ce documentaire nous emmène auprès d’Icy Diamond, qui se rend en Belgique (Bruxelles précisément) parce que son premier film pornographique qu’elle a produit « La Bite au Chocolat de Beau-Papa » (2022), a été officiellement sélectionné au Brussels Porn Film Festival 2022. Sur son chemin, elle revoit des adelphes/ ami·e·s (amant·e·s ?), arpente les rues hostiles de la capitale colonisées par les hommes cisgenres hétérosexuels, qu’il vente ou qu’il pleuve, elle tient sur ses hauts talons en arborant une tenue outrageante, elle se plaint telle la diva qu’elle est, nous fait rire naturellement et chacun de ses sourires sont une bénédiction. Le documentaire montre aussi les agressions transmisogynes qu’elle subit, les regards lubriques qu’elle encaisse, mais surtout ses réactions face aux violences : Icy Diamond ne se laisse jamais faire.
Bientôt une prochaine projection ?
Ce documentaire mériterait sa place dans une salle de cinéma ordinaire. Je n’ai rien contre les squats anarcha-féministe transpédégouine, mais cette production est un enseignement qui ne devrait pas être réservé aux personnes familières des milieux Queer. Alors. Vous êtes dégoûté·e de ne pas avoir pu visionner ce film-documentaire ? Je suis navré·e de vous apprendre que vous avez raté quelque chose (mais il y aura d’autres occasions : faites les gays en attendant). Je vous conseille vivement de suivre Icy Diamond (@icy_diamondxx) sur Instagram, et de patienter gentiment avant qu’une prochaine projection ou mise en vente soit disponible. Le réalisateur ne souhaite pas se limiter aux projections intra-communautaires dans des lieux Queer et souhaite que son œuvre soit visionner par toustes. En ce qui me concerne, je me la procurerai dès que possible ! J’ai hâte.
Mais l’article n’est pas encore terminé… Et le réalisateur alors ? On en parle ?!
Thomas Roget ou le réalisateur d’une simplicité touchante.
J’aimerais parler de Thomas Roget (@tomit0m sur Instagram), l’acolyte d’Icy Diamond dans ce documentaire. Car sans sa présence, nous n’aurions pas pu visionner un tel travail. Il a le rôle de réalisateur, mais pas n’importe lequel. Jeune réalisateur, pour un premier documentaire, il a réussi à surpasser d’autres professionnel·le·s pourtant plus aguerri·e·s. Je pense que sa proximité avec l’actrice et son vécu de personne Queer nous offre cette sensation d’intimité avec elleux. Thomas choisit de nous montrons d’Icy ce qu’il veut bien qu’on voie. J’ai eu la chance d’échanger quelques instants avec lui, qui m’ont mis des étoiles dans les yeux. Thomas est passionné. Et je suis persuadé·e que l’admiration quasi spontané qu’on a pour Icy en visionnant ces 65 minutes d’elle-même, nous sont offertes par Thomas qui avec ingéniosité nous accompagne main-dans-la-main vers celles d’Icy manucurées.
Son perfectionnisme est remarquable…
Thomas a passé des mois interminables en visionnant 8 heures d’enregistrement, qui correspondent aux 4 jours de leur voyage en Belgique. Et on ressent son perfectionnisme dans ses choix artistiques. Il est d’une minutie rare et bouleversante : on subit avec délicatesse toute la portée de son chef-d’œuvre. Dans son documentaire, il est présent sans l’être. Il accompagne Icy dans son périple (peut-être a-t-il rendu jalouxse certain·e·s spectateur·ices ?) tout en nous accompagnant dans notre visionnage. Thomas est omniscient et j’ai trouvé amusant qu’il participe à l’avant-première avec nous. Car il contemplait sa muse à travers son propre regard derrière la caméra, tout en étant assis à côté d’elle lors de la projection. J’envie la sensation qu’il a pu ressentir…
Deux Icy Diamond : l’une issue de sa créativité et sa contemplation, l’autre indépendante. Icy Diamond ne pouvait alors que s’incarner sous nos yeux spectateurs, comme libre et insoumise. Que dire de plus désormais ? Si ce ne sont des remerciements.
Icy Diamond, merci d’être qui tu es ❤️
Thomas Roget, merci de tout cœur.
Je vous remercie de m’avoir lu chèr·e·s lecteur·ices.
Affectueusement vôtre,
Article rédigé par Rodrigues-Ribeiro Bonnefoy Niena (iel/ il) | @__niena__
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