Représenter le sexe à l’écran : l’importance du female gaze

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© Portrait de la jeune fille en feu

Plus jeune, j’ai passé ma vie à m’identifier à des histoires d’amour qui ne parlaient pas de moi

Céline Sciamma

Comment représenter le sexe à l’image ?

Aujourd’hui, je souhaitais ouvrir une discussion sur un sujet que je trouve très important : la manière de représenter les relations amoureuses et sexuelles à l’écran. Que ce soit sur le grand écran ou dans les séries, les façons de représenter le sexe peuvent être diverses. Évidemment, la plupart du temps cet acte n’est pas montré dans son entièreté ; les réalisateur·rice·s choisissent souvent de le suggérer de manière plus ou moins explicite. On ne voit parfois que les premiers instants, suggérant ce qui va suivre, sans réellement le montrer. L’action peut aussi être montrée de façon partielle. Par exemple, on peut choisir de ne cadrer que les visages des protagonistes ou bien d’utiliser les angles et les plans de caméra de manière avantageuse. 

Le sexe à l’écran est politique.

Que ce soit donc par la nature de ce qui est représenté ou la manière dont ces relations sont portraites, les réalisateur·rice·s adoptent un certain point de vue. Les films renvoient donc une certaine image de la sexualité. Et disons-le franchement, la vision à laquelle nous sommes habitué·e·s est assez homogène et stéréotypée. La manière de représenter le sexe à l’écran prend donc une valeur politique

Je me rappelle que lorsque j’étais adolescente, je regardais les scènes de sexe des films romantiques avec beaucoup d’attention. Je ne regardais pas de porno, mais voir ces moments érotiques dans les films m’excitait beaucoup. Une grosse partie de mon éducation sexuelle s’est donc faite à partir de cet imaginaire. Ce que je veux dire par là, c’est que ces représentations ont une grande importance sur nos façons de se figurer le sexe. Inévitablement, elles ont aussi un impact sur notre manière de le pratiquer. Quelle vision de la sexualité prédomine aujourd’hui sur nos écrans ? Comment se construire quand on doit s’identifier à ces scènes qui ne nous correspondent pas ? Existe-t-il d’autres représentations plus positives et inclusives ?

Le male gaze

À travers son essai Visual Pleasures and Narrative Cinema (1975), la critique Laura Mulvey théorise ce qu’elle nomme le male gaze (regard masculin). Elle y dénonce la position objectivée et fétichisée des femmes au cinéma. Dans le cinéma classique mainstream, les femmes n’ont en réalité souvent pas vraiment de personnalité, ni même de rôle. L’intrigue se base sur le héros masculin (comme le prouve le test de Bechdel). Selon Mulvey, le cinéma nous impose une vision. Cette dernière nous force ainsi à adopter la position de l’homme blanc hétérosexuel. C’est donc bien souvent le même point de vue qui est offert aux spectateur·rice·s et qui façonne notre vision de la réalité. En effet, les représentations visuelles auxquelles nous sommes confronté·e·s influencent grandement nos manières de concevoir nos relations sociales. 

De par sa capacité à raconter une histoire et à refléter la société d’une manière plus ou moins réaliste, le cinéma impose une certaine norme. En apparence neutre, les représentations au cinéma sont en réalité fortement influencées par la société patriarcale. L’impact de ce point de vue sur les représentations du plaisir est évidemment d’autant plus significatif. Bien souvent, dans les scènes de sexe, on se concentre sur les corps, agissant de manière fortement scriptée. La communication y est quasiment totalement absente et le plaisir féminin est le plus grand oublié à l’écran. On a ainsi toujours le même enchaînement : une scène où les personnages s’embrassent, très rapidement suivie d’une pénétration vaginale et d’un orgasme simultané après quelques secondes. Le sexe apparait toujours comme étant spontané et éminemment passionnel. Ce qui, dans l’ensemble – soyons honnête – est très peu réaliste.

Une intériorisation des normes

En parlant de réalisme, bien qu’on soit conscient·e qu’il s’agisse de fiction, il est difficile de se détacher complètement des images culturelles de l’amour et de ne pas les prendre pour vérité. Ces représentations ont un impact considérable sur nos manières de percevoir et considérer les relations. Nous avons probablement déjà tou·te·s fantasmé l’amour tel qu’on le voit à l’écran et cherché à reproduire ces schémas. Qu’on le veuille ou non, il semble presque inévitable d’intérioriser les normes montrées dans les films. De plus, les relations y sont souvent envisagées dans un cadre bien spécifique : celui du couple hétérosexuel, monogame. Les rôles masculins et féminins y sont bien disctincts. Ce cadre apparaît comme une évidence et n’est que très rarement questionné. Il est alors courant de s’attendre à ce que nos relations reflètent cet idéal.

J’évoquais plus haut mon expérience personnelle en expliquant que le début de ma vie amoureuse et sexuelle s’était construite sur cet imaginaire. Il est évident qu’en l’absence d’une bonne éducation sexuelle, la télévision peut rapidement devenir le biais par lequel les adolescent·e·s apprennent le sexe. Les différentes productions culturelles ont donc une énorme responsabilité sociale via les représentations qu’elles véhiculent. D’où l’importance de montrer plus de diversité et de normaliser des dynamiques qui sortent des normes hétéropatriarcales.

#MeToo, female gaze et changement dans les normes

J’ai pourtant l’impression que, heureusement, tout cela est en train de changer petit à petit. Peut-être que le mouvement #MeToo, qui a fortement questionné la place des femmes dans l’industrie du cinéma, aura également permis de remettre en cause leur rôle à l’écran et de sortir des conventions traditionnelles et du male gaze

Iris Brey – autrice de l’ouvrage Regard féminin – Une révolution à l’écran (2020) -, a repris ce concept de male gaze. Elle y théorise ce qu’elle nomme le female gaze. Ce “regard féminin” se réfère à la perspective adoptée par les réalisateur·rice·s, apportant un point de vue différent de la vision masculine mainstream. Il ne s’agit donc pas simplement d’inverser le point de vue. Dans le sens où il n’est pas question de filmer le corps masculin en le montrant comme un objet. En réalité, selon Iris Brey, le female gaze est « un regard où le désir peut éclore sans domination et sans objectification. Ce regard plus inclusif peut jouer un rôle éducatif puisqu’il tend à réinventer la manière dont on filme le sexe, à promouvoir l’égalité et à valoriser ce que traverse une héroïne. » Plus qu’un enjeu scénaristique, il s’agit surtout, selon Iris Brey, d’un enjeu de mise en scène.

Le female gaze vient perturber la manière d’éprouver du désir en n’objectivant pas les corps. C’est une démarche artistique consciente qui déstabilise l’ordre patriarcal et qui réinvente ainsi les codes visuels. Cette façon de filmer les rapports humains place ainsi tous les personnages comme des sujets traités avec empathie et non comme des objets. Il ne s’agit pas ici de bannir les désirs et fantasmes mais simplement de montrer qu’ils peuvent exister sans objectification. Le female gaze nous apprend ainsi à désirer autrement, de façon plus saine.

© Sex Education

Plus de diversité et plus de réalisme

À la manière du test de Bechdel, un autre test nous permet de mettre en évidence l’inclusivité d’un objet culturel : le Clit test. Ce dernier évalue les films et les séries sur un critère simple : la présence suggérée ou bien explicite du clitoris. En effet, la plupart des personnes qui possèdent un clitoris parviennent à l’orgasme en stimulant cet organe. Pourtant, les représentations cinématographiques auxquelles nous sommes habitué·e·s ne mentionnent ou ne suggèrent que très rarement le clitoris. Aujourd’hui de plus en plus de films et de séries passent ce test et s’éloignent des clichés du male gaze. On voit désormais davantage de films et séries mettre en valeur d’autres expériences plus diverses et plus réalistes. Et personnellement, je trouve ça tellement agréable de voir enfin des scénarios plus réalistes et des situations ou des personnages dans lesquels je me reconnais.

Élise

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