Je ne veux pas d’enfant. Aussi loin que je m’en souvienne, je crois que je me suis toujours imaginée un futur en couple et partageant ma vie avec une autre personne. Mais je crois que la parentalité n’a jamais fait partie de cette image lointaine que je me faisais de mon avenir. Après ma majorité, j’ai commencé à évoquer de plus en plus ce choix de ne pas vouloir devenir mère. Cette volonté de rester sans enfant et ce désir de stérilité n’a cessé de s’affirmer depuis. J’ai toujours été très intéressée par une option définitive : la stérilisation volontaire.
Combien de fois ai-je entendu, après avoir évoqué ce choix, des remarques infantilisantes et pleines de jugements. “Mais tu changeras d’avis”. “Tu dis ça maintenant mais tu verras plus tard”. “Je ne me voyais pas avec un enfant non plus quand j’étais plus jeune comme toi. Pourtant maintenant j’ai changé d’avis, ça viendra forcément pour toi aussi”. Ou encore mieux “mais tu n’as pas peur de te retrouver toute seule ?”. Pourquoi cette position dérange-t-elle tant ? Pourquoi n’acceptons-nous pas à ce point qu’une femme puisse ne pas avoir envie d’enfanter ?
J’ai toujours été stupéfaite du nombre de questions et de jugements négatifs que suscitait ce non-désir d’enfants. Ne sommes-nous pas libres sur ce sujet ? En théorie oui, dans la pratique c’est un peu plus compliqué.
Stérilisation volontaire : ce que dit la loi
Depuis mes 19 ans, je réfléchis à un moyen de contraception plus définitif : la stérilisation volontaire à visée contraceptive. Commençons par un petit rappel de la loi. La stérilisation volontaire est légale depuis le 4 juillet 2001 (loi n° 2001-588). Cette intervention peut être pratiquée sur toute personne majeure, dès lors que cette dernière “exprime une volonté libre, motivée et délibérée en considération d’une information claire et complète sur ses conséquences”. Pendant une première consultation, le patient ou la patiente est informé·e des risques et des conséquences. Un délai de réflexion de quatre mois est ensuite obligatoire. À l’issue de ce délai, l’intervention peut être pratiquée.
Une loi qui peine à s’imposer
Dit comme ça, les choses paraissent assez simples. On s’imagine que les femmes peuvent enfin décider librement de leur choix de pouvoir enfanter ou non. Et pourtant. En effet, cette loi précise également qu’un “médecin n’est jamais tenu de pratiquer cet acte à visée contraceptive mais il doit informer l’intéressée de son refus dès la première consultation”. Et c’est ce refus qui pose problème. Car si les lois changent, ce sont ici les mentalités qui ont du mal à bouger. Plus de 20 ans après la légalisation de cette intervention, il est encore bien difficile de décider librement de ce qu’on veut faire de son corps. Les femmes qui souhaitent se faire stériliser, notamment celles qui sont relativement jeunes, doivent subir refus après refus de la part des médecins.
En France, la stérilisation n’est quasiment jamais présentée comme méthode contraceptive. On recommande généralement la pilule puis le DIU à un âge plus avancé. Il est important de préciser que même pour le DIU, jusque récemment, il était encore compliqué de trouver un médecin acceptant de nous en poser un lorsqu’on était encore jeune et nullipare. Bien que la Haute Autorité de santé précisait déjà en 2004 dans ses recommandations que le DIU pouvait être utilisé à tous les âges, chez des femmes ayant ou non déjà eu des enfants.
Regard de la société sur la stérilisation : entre jugement et incompréhension
Pourquoi existe-t-il encore aujourd’hui une telle pression sociale et culturelle incitant les femmes à avoir des enfants ? Et quelles sont les conséquences sur celles qui n’en veulent pas ? Dans l’imaginaire collectif, le fait de fonder une famille et d’avoir des enfants semble être encore pour beaucoup le but ultime et logique de la vie. Il semble impensable de vouloir passer sa vie avec quelqu’un sans ressentir le besoin de faire des enfants avec. On nous le fait d’ailleurs bien souvent remarquer en nous expliquant que si on ne veut pas d’enfant, c’est parce que nous n’avons “pas encore trouvé la bonne personne”
Bien qu’en théorie nous soyons libre de décider ce que l’on souhaite faire de son corps, cette liberté est assez illusoire tant le jugement est présent et le chemin pour parvenir à la stérilisation est compliqué. Il résulte de ce contexte culturel une absence totale de soutien pour celles qui s’abstiennent. Ce jugement s’accompagne même souvent d’une sorte de menace : “tu le regretteras”. Le regret reste pourtant archi minoritaire chez celles qui décident de se faire stériliser. Ce fameux regret a d’ailleurs fait l’objet d’une étude de 2014 réalisée sur plus de 300 patientes. “5,5% des femmes stérilisées évoquent un regret et 2,3% consultent pour envisager la possibilité d’une nouvelle grossesse. Mais aucune n’a finalement recouru à l’adoption ou à l’assistance médicale à la procréation.”
La peur du regret ?
On peut cependant facilement imaginer qu’une part de ces regrets sont peut-être des regrets “contraints”. En effet, c’est peut-être parce que les femmes se sont fait dire toute leur vie qu’une femme n’est pas complète tant qu’elle n’a pas enfanté, qu’elles éprouvent un manque ou se sentent dévalorisées lorsqu’elles deviennent plus âgées. Ce que j’ai personnellement du mal à comprendre. Pourquoi cet argument est sans cesse avancé comme étant inévitable, alors qu’il reste extrêmement rare. Et quand bien même il aurait lieu d’être, en cas de regret, la personne concernée aura fait un choix. Si elle se trompe, elle est la seule à en subir les conséquences.
À l’inverse, il y a un regret qui semble exister bien plus, mais dont on s’empêche de parler : le regret d’avoir eu des enfants. Pourtant, on n’entend personne prévenir les femmes enceintes de ce regret éventuel. Ce serait également déplacé, qu’on soit bien d’accord. Il serait peut-être temps de laisser tout simplement les femmes faire ce qu’elles veulent de leur utérus, dans un cas comme dans l’autre.
Obstacles : entre refus, infantilisation et paternalisme
Encore aujourd’hui, plus de 20 ans après la légalisation de la stérilisation, les femmes qui souhaitent accéder à cette procédure doivent se heurter aux jugements des médecins. Le découragement, l’infantilisation et les refus subis dans les cabinets sont la preuve du paternalisme qui persiste dans le monde médical. Visiblement, il est encore trop difficile pour beaucoup de médecins d’imaginer qu’une femme puisse exister pour elle-même, sans enfant. On n’accorde que très peu d’importance à cette volonté car cette décision n’est, dans tous les cas, jamais considérée comme définitive. Tôt ou tard, notre horloge biologique ainsi que notre instinct maternel vont forcément se réveiller et nous faire regretter ce choix. Tic tac, tic tac. Personnellement, je pense qu’il n’y a juste pas de pile dans mon horloge.
Un combat contre le monde médical
Il faut donc être sacrément courageuse pour entreprendre une démarche de stérilisation. J’ai moi même abandonné pendant très longtemps. Lorsque j’avais 20 ans, je me suis sentie suffisamment à l’aise avec mon gynécologue, que je considérais comme très bienveillant et compétent, pour lui parler de mon envie de me faire stériliser. J’ai probablement été naïve de me dire que ce ne serait pas si compliqué que ça. Je pensais que mon gynéco, jeune et ouvert d’esprit, comprendrait ma demande. Il m’a simplement répondu qu’il ne pratiquait pas de stérilisation sûr des femmes de moins de trente ans. Bon et bien, on se revoit dans 10 ans, super.
J’ai aujourd’hui 25 ans, il m’aura donc fallu 5 ans pour me motiver à reprendre rendez-vous chez un autre gynécologue. Évidemment, la peur que ma demande soit encore une fois rejetée est présente. Mais je pense être aujourd’hui plus déterminée à m’imposer.
Le privilège masculin face à la stérilisation
Et pour les hommes alors ? Comment se passe leur parcours vis-à-vis de la stérilisation ? Visiblement le combat est bien différent. Étonnant ? Non, évidemment. Étrangement, il semble bien plus facile pour les hommes de se faire stériliser. D’après la plupart des témoignages, leur parcours se passe bien plus facilement, sans embûche et sans refus. La société tolère plus aisément que les hommes puissent ne pas vouloir d’enfant.
Stérilisation : un problème de droits des femmes
On le sait, le domaine de l’intime et de la reproduction reste un espace majeur de l’exploitation masculine et du patriarcat. Les femmes ont longtemps été privées de leur droit à disposer de leur propre corps. Elles subissent encore aujourd’hui des pressions sociales et culturelles pour devenir mères. Il est donc crucial de se battre pour avoir le droit et la possibilité de refuser la maternité si tel est notre désir.
“Un enfant si je veux”
Les féministes, qui dans les années 1960 défilaient avec le fameux slogan “un enfant si je veux, quand je veux”, se sont toujours beaucoup concentrées sur la deuxième moitié de la phrase. Ce combat a ainsi permis aux femmes d’obtenir l’accès à la contraception et l’avortement. Mais la campagne a toujours mis l’accent sur le contrôle du moment et du nombre des naissances. Jamais sur leur principe. Jamais le mouvement féministe n’a osé exprimer l’idée qu’une femme pouvait ne pas vouloir d’enfant du tout. Il est aujourd’hui primordial d’affirmer l’éventualité qu’une femme peut tout simplement ne pas avoir envie de devenir mère.
D’une certaine manière, choisir la stérilisation volontaire pourrait être une manière de renverser définitivement la domination masculine sur la procréation féminine. Cette intervention permet aux femmes, non seulement de se réapproprier leur corps, mais aussi de se libérer de l’injonction à la parentalité et de la peur de tomber enceinte. De nombreuses femmes stérilisées témoignent de l’exaltation qu’elles ont ressentie après l’opération, enfin libérées de ce risque de grossesse. Si vous ne voulez pas d’enfant, personne ne devrait par action ou par omission, par idéologie ou par négligence, ou en refusant de pratiquer une intervention légale et légitime, vous empêcher d’exercer votre liberté.
Élise
Si ce sujet vous intéresse, je vous suggère la lecture de deux livres ; qui m’ont d’ailleurs beaucoup aidé pour la rédaction de cet article. Le premier : « Sorcières, La puissance invaincue des femmes » de Mona Chollet. L’autrice y a dédié tout un chapitre au non-désir d’enfant. Et le second est le livre de Laurène Lévy, Mes trompes, mon choix !