L’art de la vulve, une obscénité ? C’est la question que se pose Rokudenashiko à travers ses œuvres. De son vrai nom Megumi Igarashi, Rokudenashiko est une artiste et mangaka, née en 1972 dans un petit village au Japon. Son surnom est issu du japonais rokudenashi (ろくでなし) qui signifie “inutile” ou “bonne à rien”. Autrice de manga à ses débuts, l’artiste trouve son inspiration après une opération de chirurgie esthétique visant à réduire la taille de ses petites lèvres. Elle se lance alors dans la création d’objets à partir de moulages de sa vulve. Dans un pays où les organes génitaux attribués féminins sont fortement censurés, son travail est considéré comme obscène. Rokudenashiko est donc arrêtée et jugée à plusieurs reprises. Ces réactions l’ont pourtant encouragée à continuer ses créations. Elle considère aujourd’hui qu’il est nécessaire de démystifier les organes génitaux féminins au Japon, où ils sont dissimulés et extrêmement tabous .
La vulve, une source d’inspiration
À la suite de son opération, Rokudenashiko a l’idée de partager le résultat de cette chirurgie d’une autre manière. Elle décide de créer un moulage de sa vulve, afin de garder une trace concrète de ce changement. Cependant, selon ses propres mots, puisque ses lèvres ne dépassaient plus, ce moulage n’était visuellement pas très intéressant. Elle commence alors à y ajouter des décorations et de la couleur.
“L’art de la vulve, une obscénité ?”
En 2014, Rokudenashiko s’engage dans une création à plus grande échelle. Elle lance un financement participatif afin de réaliser un kayak-vulve à partir de son moulage. Au-delà d’un certain montant, les donateurs reçoivent en contrepartie un fichier vectoriel téléchargeable de sa vulve. Ainsi, les personnes peuvent à leur tour exploiter cette forme et créer à partir de sa manko. Manko, qui signifie “chatte” en japonais (まんこ). C’est le nom qu’utilise l’artiste pour parler de sa vulve et de ses créations.
Elle est alors arrêtée par la police japonaise qui juge cet acte comme de la “diffusion d’objets obscènes”. Inspirée par la singularité de sa propre histoire, elle décide de raconter cette dernière dans un manga qu’elle intitule L’art de la vulve, une obscénité ?
Une perception inégale
À travers ce manga, l’artiste dénonce l’hypocrisie de la justice japonaise à ce sujet. En effet, si selon elle son sexe et donc son corps n’ont rien d’obscène, cette arrestation semble d’autant plus absurde que chaque année le pays célèbre le pénis lors du Kanamara Matsuri (le festival du phallus de fer). Lors de cette célébration, les phallus sont omniprésents. Ils sont représentés en image, en décoration, mais aussi reproduits à travers des gâteaux ou autres sucreries. Comment justifier un tel écart de considération ? Si les pénis sont célébrés et élevés à un rang quasi sacré, comment expliquer que les représentations d’une vulve soit à ce point réprimées ?
En 2019, dans le cadre la série documentaire Clitrevolution, produite par france·tvslash, les deux militantes féministes Elvire Duvelle-Charles et Sarah Constantin sont allées à la rencontre de Rokudenashiko. À l’occasion du Kanamara Matsuri, les deux activistes se sont rendues à Kawasaki, vêtues de costumes de manko confectionnés par l’artiste. Si cette performance a été reçue assez négativement de la part des organisateurs du festival, la réaction du public a cependant été plutôt positive et bienveillante.
Des vulves kawaii
Les manko de l’artiste, vulves stylisées et personnifiées, ont été créées dans le but de questionner les limites de l’obscène ainsi que l’absurdité des législations japonaises. Ces représentations sont en effet très enfantines, simples et inoffensives, s’inspirant de l’esthétique kawaii des mangas. En atténuant ainsi la réalité de la morphologie du sexe, Rokudenashiko se préserve peut-être de réactions plus virulentes. Cela lui permet ainsi de diffuser son propos auprès d’un plus grand nombre de personnes.
Si pour elle ce projet était au départ plutôt abordé de manière amusante et légère, les réactions que son art a suscité l’ont incité à le considérer avec plus de vigueur et de passion. Bien que la justice japonaise persiste à considérer son travail comme obscène, elle estime être innocente et continue de créer afin de faire changer les mentalités.
Dans son livre, elle s’interroge : si le pays autorise la vente libre de sextoys avec des vulves parfaitement réalistes – évidemment bien que sans poils et sans imperfections, un certain réalisme est cependant indéniable – pourquoi son travail en tant qu’artiste choque-t-il à ce point ? Si le but de ces jouets sexuels est de provoquer l’excitation et la jouissance des hommes, ce n’est en aucun cas l’intention derrière les manko de Rokudenashiko. Peut-être est-ce donc cela qui dérange réellement ? Le fait qu’une femme puisse s’approprier la représentation de son sexe et vouloir la partager avec d’autres ? Le fait qu’elle puisse montrer une image plus positive et dédramatisante des organes génitaux perturbe les normes culturelles et sexuelles. Avec sa pratique, l’artiste détourne ainsi la vulve du domaine du désir masculin.