Dans notre culture où changer de voiture tous les 5 ans, de téléphone tous les 2 ans sont valorisés, comment ne pas succomber à l’envie irrémédiable de renouveler et d’améliorer constamment notre sexualité, en passant notamment par des accessoires en tout genre. On avait déjà parler de l’évolution des sextoys : histoire critique des objets de plaisir. Mais comme cela vous a plu, on rentre un peu plus dans le détails dans cette série d’article. Nous retracerons plus précisément l’histoire des sextoys (en déconstruisant certaines théories) pour comprendre comment nous sommes arrivé.e.s aujourd’hui à cette vague déferlante de sextoys dans nos commodes (ou celles de nos ami.e.s).
1ere partie – Les sextoys de la préhistoire à l’Antiquité
Dès la préhistoire ?
Des paléontologues ont retrouvé.e.s des représentations visuelles d’actes sexuels datant de 35000 av. J-C, ainsi qu’un nombre assez imposant d’objets de formes phalliques, dont le plus vieux en pierre date de 28000 av. J-C1. Il n’y a absolument aucune preuve avérée que ces objets auraient servi comme accessoires sexuels. Malgré la facilité d’arriver à une telle conclusion.
Plusieurs questions doivent se poser suite à la découverte de ces objets (et avant d’élaborer des théories farfelues) :
Leur utilisation est-elle forcément masturbatoire ? Ils auraient pu servir de modèle pour des décorations scarifiques sur les pénis (certains de ces objets ayant de nombreux décors). Ou comme des sculptures sacrées (comme de nombreux objets du paléolithique) ou tout simplement comme marteau. Oui vous avez bien lu, et c’est finalement une des théories les plus avérées quand on analyse les traces d’impacts sur certains de ces objets. Ils auraient aussi pu servir comme objets de culte dans des rites de passage, des rites spirituels ou encore des rites de fécondité. (Exemple d’une potentielle utilisation : s’insérer dans le vagin un de ses objets en communion avec les croyances de l’époque – divinités, énergies, nature – pour ensuite accueillir un phallus humain pour être fécondée et recevoir ainsi une bénédiction.)2.
Pourquoi est-ce qu’on ne retrouve que des formes phalliques dans ces soi-disant sextoys du paléolithique ?
Maintenant, si on part du principe que ce sont bel et bien des sextoys, il se pourrait également qu’il y est eu d’autres formes d’accessoires sexuels, hors des représentations phallocentrées que nous avons de nos jours. Peut être des galets assez grand et plat pour faire du humping3. Mais qui n’aurait pas retenu l’attention des historien.ne.s. N’oublions pas que l’histoire est écrite par des hommes (en général), qui ont une certaine vision du genre féminin et de sa sexualité. Et surtout, que, malgré toute la professionnalisation dont iels font preuve, il est toujours difficile en tant qu’historien.ne.s de ne pas modeler les archives (ou tout autre objet) pour qu’ils s’adaptent à la théorie en question (normalement ce que tout.e chercheur.euse tente d’éviter – c’est l’archive/le résultat qui donne la réponse, pas l’inverse-).
Attention, je ne dis pas qu’il n’y avait aucune pratique de jeu sexuel, mais qu’il n’y a aucune preuve concrète. Et qu’il y a une grande part de fantasme dans toute ces théories, notamment la dernière de cet article.
Les Olisboi (Godemichet)
Dans les faits, si on doit dater (sans réelle précision) l’apparition des premiers godemichets (les Olisboi4) ça serait l’antiquité, plus précisément vers 3000 av. J-C en Grèce antique. Ces objets de formes phalliques (encore oui), était vraisemblablement des cadeaux offerts par des hommes sur le point de partir5 et de laisser leurs femmes pour un long voyage ou une guerre. C’était un signe et un rappel concret pour leur souvenir qu’elles leur devaient fidélité. Une sorte de ceinture de chasteté inversée : « Fais-toi plaisir avec ça et pense à moi ». En gros : « Ne me trompe pas ».
Sur cette longue période, les archéologues ont retrouvé.e.s des fresques, des décorations de vases représentants des femmes en possession de ces fameux olisboi6. Ils sont même mentionnés par des auteur.ice.s de l’époque comme, Aristophane, Lucien ou Plutarque. Et notamment par une poétesse réputée de la Grèce antique : Sappho7, qui y décrit dans un de ses textes un orgasme obtenu avec un Olisbos pendant une prière à Aphrodite :
“ When I but glance at thee, no word from my dumb
Lips is heard
My tongue is tied, a subtle flame
Leaps in a moment o’er my frame,
I see not with mine eyes, my ear can only murmurs hear,
Sweat dews my brow, quick tremors pass
Through every limb, more wan than grass
I blanch, and frenzied, nigh to death,
I gasp away my breath. ”8
La création de godemichet, olisbos, est devenue une micro- industrie autour de 500 av. J-C, dans une cité particulière :
Milet, en Ionie (actuellement la région autour de la ville d’Izmir, en Turquie). Les olisbos de Milet était exportés dans tout le monde grec. Fabriqués en bois ou en laine (voire en herbes séchées, tissus ou poils d’animaux). Et recouvert d’une gaine de cuir graissée d’huile d’olive (qui servait également de lubrifiant). C’était à la base des fabricants de chaussures qui s’occupaient de créer ces objets. Grâce à leurs aptitudes pour coudre les points très fins du cuir pour ne pas qu’ils blessent l’utilisateur.ice. De ce que l’on sait, ces olisboi étaient utilisés plutôt par les femmes hétérosexuelles et lesbiennes. Autant dans une pratique privée sexuelle (seule ou à plusieurs) ou communautaire, spirituellement parlant.
Attention, à ne pas fantasmer non plus cette période.
Le fait que de tel objet existait ne confirme absolument pas que les grecs étaient un peuple dévergondé. Au contraire, ces objets ont été très souvent critiqués à leur époque. N’étant pas dans des rapports qu’iels considéraient comme sains et normaux parce qu’ils servaient « à la place de ce qu’ont les hommes9 ». Le genre masculin, viril « vir » était déterminé par la citoyenneté, c’était davantage appartenir à une classe sociale qu’à un genre.
« L’inversion des rôles (une femme assume le rôle d’un homme) n’est pas la façon d’expliquer les relations entre femmes, puisque, ici, ce qui est culturellement et socialement connoté comme « « masculin « » (le genre) circule sans caractériser totalement et de façon permanente l’une ou l’autre des trois femmes en présence.10 »
Les rapports amoureux et sexuels étaient très cadrés, par de nombreuses normes.
Seuls les citoyens mâles d’un certain âge et les veuves pouvaient s’offrir un semblant de liberté dans leurs intimités. Il y avait aussi beaucoup de prostitution, déjà dans la Grèce antique, puis dans la Rome antique. Mais ces premier.e.s travailleurs.euses du sexe et leurs pratiques ne reflètent pas l’entièreté de la population.
Se pose également la question de tels objets destinés à la pénétration non pas de femme à femme, mais de femme à homme11. Il existe une fresque à Pompei où l’on retrouve une (potentielle) prostituée entrain de pénétrer un homme grâce à ce que l’on pourrait appeler le premier harnais de l’histoire et un olisbos. En revanche, encore une fois il n’y a pas de moyen de considérer cette scène comme représentative des pratiques sexuelles. Cela pourrait tout aussi bien être une fresque humoristique. La pénétration restait centrale à l’Antiquité déterminant la position sociale de la personne en question. Un citoyen pénètre, tout le reste (esclaves, femmes, adolescent.e.s) est pénétré. À l’inverse, ils auraient aussi pu être utilisés comme instrument de torture. En les introduisant par exemple, préalablement enduit de poivre dans l’anus de la victime, selon le Satyricon (œuvre de Pétrone).
Le côté satyrique ne peut pas non plus être totalement écarté, puisque les représentations de ces faux-phallus et des vrais sont souvent démesurés.
Non pas dans une idée d’idéal. (Comme on pourrait le considérer aujourd’hui avec les acteurs porno par exemple et leur membre d’un mètre de long). Mais plutôt comme une moquerie. N’oublions pas qu’à cette époque, une grande verge n’était pas synonyme de virilité. Mais d’idiotie, de soumission à ses désirs primaires. C’est de la que vient le mot satyrique d’ailleurs. Le satyre étant la créature la plus en proie à ses émotions bestiales.
Le premier sextoys vibrant ?
Vous avez déjà peut-être entendu parler de la création du premier sextoy vibrant qui nous viendrait soi-disant de Cléopâtre (une souveraine décidément très novatrice). Il y aurait donc plus de 2000 ans la reine aurait demandé à ses serviteur.euse.s de lui confectionner un objet bien étrange et pourtant bien utile. Une enveloppe de papyrus (pour rester dans le thème de l’Égypte, bien sûr) rempli… d’abeilles vivantes (!!!) qui remplaceraient les vibrations des petits moteurs électriques de nos objets sexuels actuels. Voyez-vous j’en doute très fort ! Pourquoi ?
D’abord, cela participe au fantasme que beaucoup de personnes ont sur Cléopâtre.
Bien plus connue pour la fascination sexuelle qu’elle excerce.ait que pour son engagement politique. Ce n’est pas pour rien qu’elle fut surnommée « la reine putain12 » !
D’où vient réellement ce mythe de femme fatale qui lui colle tant à la peau ? Qui serait aussi à l’origine du mythe de la création de ce premier godemichet vibrant ? Comment Cléopâtre s’est retrouvée propulsée au rang de femme avide de sexe, nourrissant tous les fantasmes et notamment de ceux des écrivain.e.s qui perdurèrent ce cliché ?
« On compte plus de 1 000 livres écrits sur elle en 2 000 ans, sans compter des films aux titres parfois évocateurs : Les orgies sexuelles de Cléopâtre (1970) ; Cléopâtre reine du sexe (1970) ; Les nuits chaudes de Cléopâtre (1985)… 13»
Eh bien c’est grâce à la propagande adverse, les hommes de l’empereur Auguste. Oui, comme on l’entend souvent il vaut mieux un mauvais buzz que pas de buzz du tout. (les buzz se sont transformés en bzzzz -le godemichet abeille, vous l’aurez compris). Iels lui auront offert une célébrité au final. Des images sexuelles exposant Cléopâtre en train de se faire sodomiser sur un crocodile étaient diffusées sur des lampes à huile.
Une caricature de l’ennemie qui rend hommage à son avidité et appétit sexuel insatiable.
Des rumeurs14 propagées par les historien.e.s et écrivain.e.s notamment sur sa sexualité digne d’une hypersexuelle. En réalité, nous savons très peu de choses sur la sexualité de celle-ci. Mis à part que, comme tous les rois et reines d’Égypte de son époque, elle eut des esclaves sexuel.le.s à sa disposition. Elle ne devait pas se priver de profiter de son statut pour faire gagner sa chambre à celleux sur qui elle jetait son dévolu. Qu’est- ce qui lui en empêchait ?! Rien, c’était la reine. N’oublions pas par qui est écrite l’histoire. Une femme reine de cette stature ne pouvait être que louée par sa beauté (et ce qu’il en suit, son vagin) et pas pour sa politique… Non pas qu’elle ait peut-être, voire surement, tirée parti pris de ses « atouts » par mesure politique.
Pourquoi tout ce laïus sur Cléopâtre me direz-vous ?
Eh bien, cela illustre bien pourquoi et par qui est choisi notre sexualité. Déjà, cette histoire loufoque de sextoy vibrant qui aurait été inventée par et pour une femme, histoire de faire mieux avaler la pilule, non, je n’y crois pas. Comme on l’a vu précédemment, c’est grâce aux « médias » de l’époque que les histoires se répandaient (vraies ou non). C’est par le même biais que la mode et l’intérêt pour les sextoys se développera. Nous verrons dans la seconde partie de cette série. Ces objets de plaisir ont également servi à d’autres fins et certainement pas des plus plaisantes. La suite très bientôt.
En attendant, n’hésite pas à donner ton avis dans les commentaires !
Un autre article sur les sextoys ?
Article rédigé par Louise Briot, Sexothérapeute, détentrice du compte instagram @louise.fait.cracrac
Note de bas de pages :
1 Long d’une vingtaine de centimètre sur 2,8 cm de large. De l’époque néandertalienne, a été retrouvé en Allemagne, en 2005 à Ulm.
2 C’est une supposition, tirée donc de mon imaginaire et de mes recherches. Rien qui ne détermine une quelconque réalité. Ça vous donnera aussi un exemple de comment peuvent être formées de fausses théories. L’imagination et ce que nous fantasmons sur nos ancêtres peuvent donner lieu à ce type de thèse.
3 Stimulation en se frottant sur un objet ou autre, sans utiliser ses mains directement sur le corps.
4 Olisboi au pluriel / Olisbos au singulier ( ὄλισβος : « glisser »)
5 Aristophane, en 411 av. J-C, dans une de ses comédies : « Olisbos : Membre viril en cuir, que les Milésiennes utilisent dans des pratiques lesbiennes en s’adonnant à des plaisirs obscènes ; y recourent aussi les femmes privées de leur mari ». Benoit Dercy, Le travail des peaux et du cuir dans le monde grec antique, Publications du Centre Jean Bérard, 2020, p.145
6 Des vases similaires sont présents au Louvre et au Berlin Museum, où l’on voit une représentation de femme se laver après avoir utilisé un olisbos.
7 Carrière Jean. Edith Mora, Sappho. Histoire d’un poète et traduction intégrale de l’œuvre, 1966. In: Revue des Études Anciennes. Tome 70, 1968, n°1-2. pp. 153-155.
8 Volontairement non traduit pour ne pas (à nouveau) dénaturer le poème (déjà traduit du grec à l’anglais). Jonathan Margolis, O : The Intimate History of the Orgasm, Grove Press, 2005 p.171
9 Sandra Boehringer, « Pratiques érotiques antiques et questions identitaires : ne pas prendre Lucien au mot (Dialogues des Courtisanes, V) », Clio. Femmes, Genre, Histoire [En ligne], 31 | 2010, URL : http://journals.openedition.org/clio/9569
10 En l’occurrence dans ce texte elle parle de trois femmes, mais cela s’applique à deux également.
11 Op.cit. Entendez ici, de personne à vulve à une personne à pénis.
12 Par Properce ou encore “la honte de l’Égypte” par Lucain.Claude Aziza, à propos de Cléopâtre. La reine sans visage, in : Actualités des études anciennes, ISSN format électronique : 2492.864X, https://reainfo.hypotheses.org/22640.
13 Christian-Georges Schwentzel, Cléopâtre, la déesse-reine, (éditions Payot, 2014). https://theconversation.com/un-an-apres-pourquoi-cleopatre-na-pas-invente-le-vibromasseur-59500
14 Entre celle qui voudrait qu’il fallût la pénétrer plus de 100 fois avant qu’elle ne soit satisfaite, celle qui disait qu’elle se prostituait ou celle que Marc-Antoine aurait même fait venir un médecin pour l’aider à combler son appétit sexuel, on a un bon niveau de … conneries.